GoSt111 : interview de Henri Scala

L’an dernier, avec sa première BD « GoSt 111 », il remportait le Fauve Polar SNCF 2021 au Festival d’Angoulême. Henri Scala, commissaire de police qui a passé plus de 10 ans à la police judicaire parisienne, revient pour nous sur ce travail d’écriture engagé un peu par hasard qui l’a pourtant conduit, dès son premier opus, à remporter l’un des prix les plus prestigieux en la matière.

 

Comment est née l’histoire de « GoSt 111 » ?

Je n’avais pas d’intention très nette, excepté le principe : partir sur du roman noir mais le décentrer, en ne racontant pas d’histoire de policier mais celle des autres protagonistes, c’est-à-dire offrir une vue depuis une source policière. Les autres BD que nous avons écrites depuis « GoSt 111 » sont réalisées sur ce même schéma.

L’autre envie, était de raconter des histoires policières avec ce que j’appelle « du vrai réalisme ». Eviter la caricature et cette « fausse police réaliste » que l’on peut voir parfois et qui m’agace profondément ! Raconter de façon assez factuelle comment cela fonctionne et faire en sorte que le background administratif soit le plus proche possible de la réalité.

Ensuite, ce qui a surgi en construisant l’intrigue, était notre volonté de montrer à quel point cette relation de gestion est un métier et que cela peut dégénérer, si on ne le fait pas correctement. C’est ce qui arrive dans « GoSt 111 » qui décrypte comment les choses peuvent mal se passer. Et par extension, avec un petit côté moral, nous parvenons à souligner, au travers d’une narration plus subtile parfois sans dialogues mais avec la plus grande clarté, comment il faudrait que cela se déroule.

L’idée du scénario n’est pas de porter de jugement sur ce que font les personnes mais de montrer que l’on est responsable de ce que l’on fait quand on est une source et quand on est un policier.

S’agit-il de votre premier travail d’écriture ?

Absolument ! J’ai rencontré mon co-scénariste un peu par hasard. Nous avions été mis en relation il y a des années lorsque j’étais à la PJ. A l’époque, il était scénariste dans l’audiovisuel et cherchait des éléments d’ambiance pour étoffer un scénario. Nous avons sympathisé et gardé le contact. Un jour en déjeunant, nous est venue l’idée – car je suis un grand amateur de séries – d’écrire une série policière dont le personnage central serait une source, un « tonton ». C’était l’idée de départ qui nous a conduit à écrire une partie de la série que nous avons vendue à un producteur… qui n’en a jamais rien fait ! Nous avons alors récupéré les droits.

Plusieurs années plus tard, par hasard encore, nous avons rencontré un directeur de collections chez Glénat auquel nous avons proposé cette histoire pour en faire un roman graphique. Il a accepté. C’était complètement inattendu !

 

La bande dessinée est un univers qui vous parle ?

J’ai toujours beaucoup « baigné » dans la bande dessinée ; j’en ai toujours beaucoup acheté et beaucoup lu.

 

Comment transforme-t-on un scénario de série en une histoire adaptée à la bande dessinée ?

En réalité, les deux sont assez proches car il y a un découpage dans la BD quasi obligatoire comme dans un film.

D’abord, on réalise un « séquencier » : on raconte toute l’histoire et on la pose sur une ligne de temps, ce qui permet d’éviter les incohérences.

Ensuite, on découpe les scènes : avec ou sans dialogues, le non-dit, le dit, les plans, l’orientation… C’est un travail réalisé de manière plus ou moins approfondie selon le dessinateur.

La logique est donc similaire même si, sur un album, l’histoire n’est pas scindée en épisodes. L’autre différence importante est que, dans la bande dessinée, on a une liberté quasi absolue. Le scénariste est maître de ce qui est fait, de A à Z, alors que dans le milieu audiovisuel, il y a plus d’interventions et de contraintes liées. En BD, lorsque l’éditeur a approuvé l’histoire, on ne touche à rien.

 

« Dans la bande dessinée, on a une liberté quasi absolue. »

 

Combien de temps dure la conception d’un tel roman graphique ?

La majeure partie du travail, le « séquencier », dure plusieurs mois. En revanche, l’élaboration du dessin peut durer deux ans. On ne peut donc pas réellement enchaîner les bandes dessinées avec le même dessinateur ; sauf à réaliser des albums traditionnels courts en 44 planches par exemple. Mais sur des réalisations comme la nôtre de 200 pages, c’est un temps tel que ce n’est pas réalisable.

 

Concrètement, quelles sont les étapes qui mènent jusqu’au dessin ?

D’abord, le synopsis d’une quinzaine de pages ainsi que 3 planches d’exemple complètement scénarisées, découpées, dialoguées, sont fournis au comité de lecture. C’est sur cette base que l’éditeur approuve le projet.

A partir de ce moment-là, on écrit le scénario complet. Page à page, est précisé ce qu’il y a dans chaque case, ce qui s’y passe. Ce document de départ sert au dessinateur pour commencer à faire ses planches.

Il va d’abord faire ce que l’on appelle « un monstre » : un crayonné grossier pour mieux cerner comment s’articule le découpage. On réalise alors plusieurs allers-retours de correction.

Certains dessinateurs réalisent planches par planches et transmettent. D’autres font tout en un crayonné pour avoir tout à plat. Cela dépend beaucoup de la personnalité des dessinateurs.

Avez-vous choisi vous-même le dessinateur ?

D’habitude, les auteurs arrivent avec leur dessinateur. Là, chose très rare, c’est Glénat qui avait déjà travaillé avec lui et qui nous l’a proposé. Depuis cette signature, nous avons écrit trois autres ouvrages à sortir. Pour la deuxième BD, c’est moi qui ai trouvé le dessinateur. La troisième, Glénat, et la quatrième, c’est mon co-scénariste qui s’en est chargé.

Nous avons donc en préparation trois bandes dessinées réalisées avec trois dessinateurs différents.

 

Quelle a été votre réaction en découvrant les premiers dessins de « GoSt 111 » ?

A la réception des planches, voir la capacité de quelqu’un à se projeter dans ce que vous avez imaginé est un moment génial ! D’autant plus que nous n’avions travaillé ensemble que par correspondance (NDRL : les scénaristes et le dessinateur se sont rencontrés pour la première fois lors du festival d’Angoulême). Nous n’avions, par exemple, pas imaginé le personnage principal exactement comme cela mais le dessinateur s’est projeté. Il a compris notre intention.

 

« La satisfaction à concevoir cette œuvre collective est supérieure à un travail en solo. »

Que représente pour vous cette reconnaissance par le Festival d’Angoulême qui a décerné le prix Fauve Polar SNCF 2021 à « GoSt 111 » ?

Le deuxième bonheur après avoir vu le dessin, c’est de sortir un album : la première fois qu’on le tient entre les mains et qu’il est en rayon dans les librairies est assez incroyable ! Mais le miracle absolu a été d’être sélectionné et primé à Angoulême, c’est complètement fou !

Une sélection, c’est déjà très très bien, d’autant plus quand on est sélectionné avec des dessinateurs ou des auteurs qui sont beaucoup plus connus. J’avais même lu certains d’entre eux dans ma jeunesse !

 

Vous évoquiez d’autres ouvrages. Cela signifie que vous êtes pleinement lancés dans l’univers de la bande dessinée ?

Oui, toujours avec mon co-scénariste qui, lui, a même abandonné sans regret le monde de l’audiovisuel.

Trois autres albums sont en effet en préparation.

Le prochain raconte l’histoire d’une « nourrice » dans une affaire de stups et sortira cette année.

La troisième BD se passe à la brigade criminelle avant le déménagement, au 36 quai des Orfèvres. C’est une fiction, comme une parenthèse entre les périodes d’attentats entre Charlie et le Bataclan. Entre ces deux faits, une policière arrive dans le service, elle est dernière du groupe et découvre le travail. C’est centré sur celle et son regard qui reconstitue, sans tout comprendre au début, la manière dont fonctionne son service.

Enfin, la toute dernière sera centrée sur une sorte de délinquante occasionnelle dans le monde du darknet.

 

« GoSt11 », scénaristes Henri Scala et Mark Eacersall, dessinateur Marion Mousse. Editions Glénat.