#ExpoVidocq : interview du comédien Vincent Cassel
A l’occasion de la sortie de son numéro spécial consacré à Vidocq, la rédaction de Liaisons, le magazine de la préfecture de Police a rencontré Vincent Cassel, qui incarnera ce personnage historique dans le film L’Empereur de Paris, au cinéma le 19 décembre prochain.

Vincent Cassel sur le tournage du film. © 2018 – MANDARIN PRODUCTION / GAUMONT – PHOTO ROGER ARPAJOU
Vincent Cassel, vous qui incarnez Eugène- François Vidocq dans L’Empereur de Paris, que vous évoque aujourd’hui ce personnage ?
Pour moi, il fait partie de ces personnages qui incarnent la zone grise entre les malfrats et la police, celle où évoluent des flics en civil qui connaissent aussi bien la rue que les voyous et qui essaient de leur ressembler pour mieux les confondre.
Je crois que c’est la seule solution pour la police, car comment combattre le mal si on ne le connaît pas ? A ce titre, Vidocq est à la base de la police moderne.
Impliqué dans de multiples escroqueries, évadé de nombreuses fois de prison et du bagne, Vidocq avait une très bonne connaissance du « milieu », ce qui lui a permis de se faire recruter par la Sûreté. Comment arrive- t-il à convaincre la hiérarchie policière ?
L’initiative vient de Vidocq qui propose un marché au Garde des Sceaux de l’époque en lui disant « Vous n’y connaissez rien. Moi, à cause de mon passé que j’essaie de fuir, je connais tout ce que vous ne connaissez pas et je vous propose mes services en échange de ma liberté ». C’est important de voir que c’est quelqu’un du milieu qui fait évoluer le concept de la police en cherchant à se sauver lui-même.
Pour convaincre la hiérarchie policière de travailler avec lui, il lui fait remarquer qu’après tout, il n’y a que le résultat qui compte ! Après, il y a la morale qui entre en ligne de compte et cela est valable encore aujourd’hui : jusqu’à quel point peut-on se permettre d’aller pour obtenir des résultats ?
Vidocq a parfois volontairement tendu des pièges à des malfaiteurs pour les pousser à l’action et mieux les prendre en flagrant délit, méthode qui lui a d’ailleurs été reprochée et qui a jeté l’opprobre sur la police de l’époque. Avez-vous cherché à montrer cet aspect ambigu du personnage, un peu provocateur ?
Complètement ! Mais il faut préciser que dans le Paris d’avant Haussmann, c’était le chaos absolu. Il n’y avait ni empreintes digitales, ni photos pour confondre les voyous. On ne les reconnaissait que lorsqu’ils avaient une cicatrice, un œil en moins, un accent. Donc pour attraper les individus à cette époque-là, il fallait être aussi vicieux qu’eux !
Vidocq était un homme intuitif, il savait tout de suite à qui il avait affaire et comment ses interlocuteurs pouvaient réagir. Cet aspect de sa personnalité a-t-il fait écho en vous, qui êtes recherché par les réalisateurs pour votre côté instinctif ?
J’aimerais être aussi intuitif que Vidocq mais franchement, je crois que je suis très loin du compte ! Il y a une différence entre être intuitif pour sauver sa peau et intuitif pour choisir des réalisateurs…
Vidocq était aussi un homme de terrain, investiguant toujours à l’extérieur. Il lui arrivait souvent de se battre, comme dans la scène mémorable de la crypte. Cet aspect plutôt physique du personnage, très impliqué sur le terrain, vous a-t-il séduit ?
Oui, mais je ne vous cacherai pas que pour avoir fait beaucoup de films « physiques », ou en tout cas estampillés « action », j’en reviens un peu. Ceci dit, dans une période où les gens perdent l’habitude de voir des films en grande dimension au cinéma au profit de séries visionnées sur leurs tablettes, nous pensions – et c’est un peu dans l’ADN du film- que pour lui donner un potentiel populaire, il fallait qu’on représente l’action physique du personnage. Comme c’est quelque chose que j’ai déjà beaucoup fait, j’ai décidé cette fois de dessiner mes propres chorégraphies. J’ai découvert et me suis formé avec un maître au Systéma, un art martial russe qu’on a peu l’habitude de voir au cinéma.
Par son incroyable inventivité, son aplomb, sa faculté à se sortir de toutes les situations, Eugène-François Vidocq est devenu un véritable héros. Quels sont les aspects de sa personnalité et de sa vie que vous avez souhaité mettre le plus en relief ?
Son côté solitaire, en fait. Vidocq était à la fois rejeté par la pègre qui le considérait comme une balance et par une frange plus « respectable » qui le considérait comme un bagnard, un malfrat. Je voulais représenter un homme qui ne trouve pas sa place dans la société et qui tout d’un coup est seul, profondément seul, et sans famille. Cette solitude donne en grande partie son côté dramatique au personnage.
Y a-t-il selon vous une scène-culte qui montre bien la personnalité de Vidocq dans L’Empereur de Paris ?
Pour moi, c’est la scène où tout à coup Vidocq décide d’aller au bagne pour dire, les yeux dans les yeux, à tous ces hommes qui l’insultent et le font passer pour ce qu’il n’est pas, pourquoi il est devenu policier. Même s’il leur dit ne pas faire partie de leur monde, il a quand même de la compassion pour eux au regard du sort qui les attend. C’était une scène importante à tourner pour moi, car j’avais l’impression de toucher à quelque chose de très important pour le personnage.
Mesrine, Vidocq… vous avez interprété des voyous qui ont défrayé la chronique, avec une attitude parfois ambigüe vis-à-vis de la police et qui sont devenus de véritables mythes populaires. Cette double facette vous a-t-elle séduit pour les représenter à l’écran ?
J’aime ces personnages, je les trouve magnifiques. J’ai grandi en regardant Taxi driver qui en est un exemple type. Je trouve que quand on fait des portraits de mecs complexes, même si on n’a pas envie d’avoir leur vie, les voir au cinéma est extrêmement libérateur. Car ils incarnent un peu tout ce qu’on essaie de cacher de nos existences, et tout d’un coup voir ces types surpasser leurs souffrances, cela nous donne un peu d’espoir dans nos quotidiens modernes. Entre Mesrine et Vidocq, il y a des similitudes. Tous deux sont des mecs un peu à la frontière, on ne sait pas très bien quoi en penser d’une scène à l’autre, chacun se fait son jugement. Chez Mesrine c’était évidemment beaucoup plus flagrant car c’était un criminel. S’agissant de Vidocq, c’est plus sur un plan social qu’on a du mal à le juger. Mais les deux ont en commun d’avoir du mal à trouver leur place et ils se retrouvent dans une zone ambigüe, où ils sont d’une certaine manière rejetés par la société.
« Vidocq est un homme hors de la société qui, finalement, a participé aux fondements de notre société actuelle. »
Comment expliquez-vous que le mythe de Vidocq perdure encore aujourd’hui ? Peut-il être considéré comme un héros moderne ?
Vidocq est un homme hors de la société qui, finale- ment, a participé aux fondements de notre société actuelle. C’est l’exemple même de l’autodidacte. Il faisait déjà rêver l’intelligentsia de son temps et est devenu un héros de Victor Hugo et de Balzac. Il n’est pas étonnant qu’il soit passé à la postérité ! J’espère que les spectateurs de L’Empereur de Paris s’identifieront à Vidocq, qu’ils seront sensibles à son combat, à sa manière de réagir, qu’il les fera rêver et qu’ils se diront qu’ils aimeraient bien être comme lui.
Était-il important pour vous de pouvoir tourner dans une fresque à la fois historique et popu- laire comme L’Empereur de Paris ?
Moi, ce qui m’intéresse, c’est de faire du cinéma avec un grand C, celui que je rêvais de faire quand j’étais jeune en regardant des films de Fellini, Scorcese et Sergio Leone.
Il y avait à l’époque une dimension cinématographique qui tend à se perdre aujourd’hui, où n’importe qui peut faire un film avec les nouveaux moyens technologiques.
Aujourd’hui, j’ai envie de participer à des œuvres qui laisseront des traces, qui ont une certaine ambition. Un rôle comme Vidocq dans une production de cette taille-là, c’est rare et pour moi c’est important d’y participer. Et quand un film de cette dimension fonctionne, les producteurs, les financiers se disent qu’on peut encore faire du cinéma au sens propre du terme.
A DECOUVRIR
Vidocq, sa personnalité, ses méthodes : Liaisons a confronté les points de vue de l’acteur principal de L’Empereur de Paris, Vincent Cassel, et de l’un de ses homologues actuels en poste à la direction de la police judiciaire, le commissaire divisionnaire Michel Faury, chef de la brigade criminelle.