#ExpoVidocq : interview du réalisateur Jean-François Richet
Autodidacte, Jean-François Richet s’est forgé une place dans le cinéma à force de persévérance. En 1995, après trois ans de bataille, il parvient à sortir en France son premier film : État des lieux. John Cassavetes, Mel Gibson, John Carpenter, John Ford, mais surtout les cinéastes russes Sergueï Eisenstein et Dziga Vertov lui servent de références. Vingt-trois ans plus tard, avec entre-temps en 2009 un César du meilleur réalisateur pour son diptyque sur Mesrine, Jean-François Richet revient sur le devant de la scène avec un flamboyant Empereur de Paris, une nouvelle fresque historique d’aventure.
Jean-François Richet sur le tournage de L’Empereur de Paris. © 2018 – MANDARIN PRODUCTION / GAUMONT PHOTO ROGER ARPAJOU
Comment est né le projet Vidocq ?
L’Empereur de Paris est depuis 20 ans dans les esprits d’Éric et Nicolas Altmayer, les producteurs du film. Ils nous ont proposé simultanément à Vincent Cas- sel et à moi-même cette histoire et nous avons tout de suite accepté.
Qu’avez-vous fait pour vous immerger dans le sujet ?
Je suis un passionné d’histoire et surtout de la Révolution française jusqu’à la Commune de Paris. Je suis féru de la période du Premier Empire. Je dois lire entre trois et cinq livres par semaine sur le sujet depuis une quinzaine d’années ! Presque toute ma bibliothèque est consacrée à cette période fascinante.
Vous connaissiez donc bien les mémoires de Vidocq…
Je les avais lues bien-sûr, mais j’ai repris les quatre tomes. Les deux premiers avaient été griffonnés par Vidocq lui-même avant qu’ils ne soient réécrits par un écrivain, mais peu satisfait du résultat, qu’il trou- vait trop romancé à son goût et pas assez précis, Vidocq a entrepris d’écrire tout seul les tomes trois et quatre de sa vie. En lisant les différents ouvrages, on sent d’ailleurs une différence de style notable.
Vidocq était semble-t-il un personnage hors norme, est-ce que démêler le vrai du fantasme était important pour vous ?
Ce n’était pas ma démarche… ce que Vidocq raconte dans ses mémoires semble assez précis et pas forcément à son avantage. Puis surtout, les mémoires nous donnent une multitude de détails sur l’époque, les mœurs, l’ambiance… Au-delà du personnage, les renseignements fournis sont pré- cieux. Quand Vidocq publie ses ouvrages, la plupart des éléments cités sont encore vérifiables ; ses faits d’armes étaient presque de notoriété publique. Pour moi, la seule question qui se pose est de savoir s’il a fait ou non partie d’une police politique quand il est rappelé en 1832 au poste de chef de la Sureté. À ce moment, il y a une multitude de complots, il y a l’insurrection républicaine suite à la déception des révolutionnaires de 1830 envers Louis-Philippe, que l’on surnommait le « roi des barricades ». Fait- il partie d’une police politique ? Vidocq le nie. Organisait-il des « coups » pour faire tomber des agitateurs politiques comme il le faisait contre les brigands ? Occupe-t-il une fonction plus obscure que son poste officiel ? Ces faits vont survenir 23 ans après l’aventure où se situe notre film.
Jean-François Richet et Vincent Cassel sur la scène de l’attaque de la diligence dans la forêt de Sénart
© 2018 – MANDARIN PRODUCTION / GAUMONT PHOTO ROGER ARPAJOU
Plus de 160 ans après sa mort, Vidocq fascine toujours le public. Comment expliquez-vous que cet intérêt soit toujours aussi vivace ?
Tout d’abord parce que c’est un archétype. Vidocq, c’est Jean Valjean, c’est Vautrin. Ce que je trouve remarquable, c’est que tout en restant un « petit » personnage de l’Histoire, c’est pourtant lui qui est resté gravé dans la mémoire collective et pas les maréchaux de France. Qui connaît aujourd’hui les exploits des maréchaux Ney ou Lannes ? Ce sont pourtant des hommes remarquables qui ont sauvé la France et ont été récompensés des plus hautes distinctions. Et bien pourtant, c’est Vidocq qui est resté dans les esprits parce qu’il a gagné une dimension romanesque grâce à la littérature puis, par la suite, avec les séries et les films.
Films, séries, ouvrages, bandes dessinées, les traitements sur le sujet ne manquent pas…
La série avec Claude Brasseur était très élégante, mais c’était à mon sens tellement loin de ce qu’était vraiment Vidocq. Pour moi, ce héros est un ours, pas un guépard, or la série nous proposait un félin. En revanche, le contexte politique était déjà là, notamment avec l’abdication de Napoléon évoquée dans un épisode.
Vous avez tout de suite su que vous pouviez apporter quelque chose de nouveau à ce héros populaire ?
Je voulais présenter ce personnage. Il fallait aussi retranscrire l’époque et notamment la politique de cette période. Si on ne rentre pas cette donnée dans le film, on ne peut pas comprendre les personnages. Il fallait que j’insuffle cette dimension ; si on ne sait pas que Vidocq a fait la bataille de Valmy qui est fondatrice de la République, si on ignore qu’il a aussi fait la bataille de Jemmapes remportée par l’armée révolutionnaire, alors on ne peut pas comprendre son personnage. J’ai essayé d’apporter de la véracité au sujet. Je ne parlerai pas de réalité parce que ce serait présomptueux, mais j’ai souhaité revenir aux sources en naviguant entre ses mémoires et son époque. C’est ce mariage qui donne l’Empereur de Paris. Je voulais rendre un hommage à notre Histoire.
Pourquoi ce héros vous plaît ?
Tout d’abord parce que c’est un individu qui dit « non », et ça, c’est le début de la liberté. Mais il y a un prix à payer. En essayant de racheter sa liberté en travaillant pour l’État, il se retrouve dans une nouvelle prison, certes dorée, mais avec encore plus de pression. Il devient alors le pion de Fouché, ministre de la police, mais aussi de son chef direct, Henry, chef de la 2e division de la préfecture de Police de Paris.
« En essayant de racheter sa liberté en travaillant pour l’État, Vidocq se retrouve dans une nouvelle prison, certes dorée, mais avec encore plus de pression. »
La vie de Vidocq est remplie de péripéties, on ne pouvait pas tout raconter en deux heures, comment avez-vous fait vos choix ?
Le scénario était extrêmement bien structuré, je l’ai donc suivi tout en y apportant la touche « Empire » que je pensais indispensable. Mais c’est vrai que chaque épisode de la vie de ce personnage pourrait faire l’objet d’une série ou d’un film. Dans une scène assez brève, je fais notamment allusion aux « chauffeurs du Nord », ces bandes organisées qui écumaient les campagnes en brûlant les pieds de leurs victimes pour les détrousser. Rien que cette célèbre affaire traitée par Vidocq aurait pu à elle seule faire l’objet d’une série ! J’ai pourtant fait le choix de l’ellipse car ce n’était pas mon sujet.
Jean-François Richet en visite aux archives de la préfecture de Police, posant devant les registres d’écrous du 19e siècle, au Pré-Saint-Gervais.
© PRÉFECTURE DE POLICE
Considérez-vous Vidocq comme un flic ?
Bien sûr que c’est un flic ! C’est même pour moi le meilleur flic de France. À cette époque, la justice leur laissait les mains plus libres et ils obtenaient des résultats. Aujourd’hui aussi il y a des « Vidocq » dans la police. Ce sont les forces de l’ordre qui sont les garantes de notre liberté. Les héros des temps modernes, ce sont les policiers comme par exemple les hommes de la BRI (brigade de recherche et d’intervention) qui sont entrés dans le Bataclan…
«J’ai pu travailler avec une grande liberté,
les producteurs m’ont suivi à 100 %. »
Dans une ère où le numérique est de plus en plus prégnant dans la production cinématographique, comment avez-vous fait pour convaincre les producteurs de vous suivre dans votre volonté forcenée de garder une part aussi grande d’authenticité dans la reconstitution des décors et des costumes ?
Les producteurs m’ont donné les clefs d’un projet qu’ils portaient depuis longtemps et j’ai pu travailler avec une grande liberté, et ils m’ont suivi à 100 %. Mais même en ayant leur confiance totale, il m’a fallu parfois les convaincre sur certaines choses qui me paraissaient essentielles et qui l’étaient moins pour eux. Je pense notamment à la reconstitution du quartier de la Bièvre que l’on n’a utilisé que pour UNE scène ! Certains producteurs m’auraient demandé d’optimiser ce décor pour d’autres scènes.
Pour ma part, j’ai eu la chance d’être compris et soutenu dans mes choix. Je ne fais pas un téléfilm, je ne réalise pas une série où l’on construit une rue et dans laquelle on va tourner trois saisons, même si c’est très bien fait. Quand j’ai refait la place Stalingrad pour Mesrine, c’était la même problématique, il a fallu concevoir toute une reconstitution historique des années 1970 pour une scène unique. C’est la richesse du cinéma, quitte à faire des économies ailleurs.
Quels étaient pour vous les points essentiels non négociables pour votre reconstitution ?
Les pavés ! Nous avons d’ailleurs trouvé des pavés de la vraie période Empire. Les costumes tiennent aussi une place prépondérante. Qu’il s’agisse des robes, mais aussi des tenues des soldats, comme celles du 5e régiment de hussards, je voulais de la justesse. On retrouve ces uniformes avec la même authenticité dans Les Duellistes de Ridley Scott.
Le premier plan de votre film, que nous ne dévoilerons pas pour préserver l’effet de surprise, est d’une rare intensité ; il révèle indirectement la condition humaine des bagnards. C’est une référence aux matelots du film Le cuirassé Potemkine ?
Cette ouverture a alimenté des heures de discussion.
En un plan, j’expliquais la condition humaine dans le bagne flottant sans pour autant montrer un seul être humain dans le cadre. Peut-être que cette « image-choc » est un héritage inconscient de ma culture cinématographique russe, je ne sais pas.
Puis les premières projections-tests du film nous ont confirmé que le sens du plan l’emportait sur la violence. Le pari était gagné.
« C’est avant tout un film d’aventure.
La reconstitution est tellement précise que j’ai envie de dire qu’il s’agit aussi d’un film historique, mais l’action prédomine sur la narration. »
Le fait de filmer vos personnages en gros plan est aussi un héritage du cinéma intellectuel russe, un hommage à Octobre de Sergueï Eisenstein, un film et un cinéaste que vous affectionnez particulièrement…
Octobre fait partie de ces films que je revois très régulièrement, c’est vrai. Pour moi, les visages doivent primer sur les décors. Même si ces derniers sont essentiels, j’essaie de ne pas les filmer de façon ostentatoire.
Si on commence à faire ça, on risque de se détacher des personnages. Dans Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone tourné en CinémaScope pour avoir des plans larges, le plus grand des décors, ce sont les yeux de Clint Eastwood. J’aime cette idée.
Vincent Cassel dans la peau de Vidocq arrivant dans une auberge.
© 2018 – MANDARIN PRODUCTION / GAUMONT PHOTO ROGER ARPAJOU
Comment définissez-vous votre film ?
C’est avant tout un film d’aventure. La reconstitution est tellement précise que j’ai envie de dire qu’il s’agit aussi d’un film historique, mais l’action prédomine sur la narration. Certains trouveront sûrement des erreurs, mais honnêtement, je ne vois pas lesquelles. Le moindre bouton de guêtre est identique à ceux de l’époque… quand les « reconstituteurs » sont venus pour la scène finale avec la garde impériale, ils avaient des frissons. Au départ, Vincent Cassel me taquinait sur ma précision pendant la préparation. Quand il s’est retrouvé sur le décor, je pense qu’il a apprécié.
Le dernier plan de l’Empereur montre le Paris napoléonien. Était-il important pour vous de finir sur cette vision ?
Le carton d’ouverture (NDLR : Texte d’introduction avant les premières images) vise à plonger le spectateur dans le contexte historique pour évoquer la question des frontières et des menaces de guerre qui planent sur la France… mon plan de fin fait le lien avec ce carton d’introduction en montrant des militaires qui se préparent à un conflit futur. Il raconte aussi ce que va devenir Vidocq et annonce le chaos que va traverser Paris. C’est une façon de conclure tout en ouvrant sur une autre belle histoire à raconter… et à mettre en scène.
A DECOUVRIR
Liaisons, le magazine de la préfecture de Police consacre son dernier numéro à Vidocq !