Rencontre avec Enrique Mazzola, directeur musical de l’ONDIF
Jeudi 14 juin, lors d’une cérémonie au Panthéon chargée en émotion, Enrique Mazzola a reçu des mains du préfet de Police Michel Delpuech son décret de naturalisation française. Le chef italien bien connu des mélomanes franciliens, avec ses lunettes rouges, son sourire éclatant et son enthousiasme communicatif, œuvre depuis 2012 à la tête de l’Orchestre national d’Île-de-France pour mettre la grande musique à portée de tous. Entre deux répétitions pour l’opéra La Cenerentola de Rossini (d’après le conte de Perrault Cendrillon), qu’il dirigera le 16 juin au Théâtre des Champs-Elysées, il a partagé avec Prefpolice le blog sa joie d’être désormais un citoyen français.
« Paris c’est ma casa »

©ONDIF/Eric Laforgue
Pourquoi avoir demandé la nationalité française ?
Quand j’ai été nommé directeur musical de l’Orchestre national d’Île-de-France, en 2012, je vivais à Berlin et j’ai décidé de m’installer à Paris. Cela me paraissait indispensable d’être au cœur de la vie parisienne et francilienne, de prendre le métro, aller au concert, au cinéma… A l’époque, je ne parlais presque pas français, mais j’ai commencé à suivre les informations à la télévision française, et petit à petit, je me suis passionné pour la vie politique, sociale et culturelle. C’est comme cela que s’est déclenchée cette urgence d’obtenir la nationalité française : j’étais encore un étranger en France alors que mon cœur s’était mis à battre au rythme français !

©Préfecture de Police
Que représente la France pour vous ?
C’est un pays qui représente quelque chose d’exceptionnel dans le monde entier. Les Français – maintenant je dois dire mes concitoyens !- voient toujours le côté négatif des choses, mais pour moi, qui pose un regard plus innocent sur les choses puisque je suis nouveau ici, je trouve que la France est un état social très fort, où les écoles fonctionnent extrêmement bien, où les plus démunis sont protégés, qui joue un rôle essentiel dans les relations internationales. C’est aussi un pays qui soutient la culture de façon franche et directe, en dépit des difficultés économiques, qui a compris que la culture apporte une réelle vitalité économique au pays. Sans culture, un pays devient plus pauvre.

©ONDIF/Eric Laforgue
Vous vous sentez Parisien maintenant ?
Oui, Paris c’est magnifique ! Je suis un typique Européen, un citadin, habitué à vivre dans des grandes villes. J’ai dirigé des concerts à New-York, Chicago, Moscou, Londres, Melbourne, Tokyo, Oslo, Taipei, Prague… mais chaque fois que je reviens chez moi, je me dis que Paris est la seule ville au monde où je peux habiter. Il y a ici une telle variété d’offres culturelles, politiques, économiques, commerciales ! Paris est pour moi la ville idéale, cosmopolite, reliée au monde entier, avec une touche de latinité qui me fait m’y sentir plus à l’aise qu’à Londres, à Berlin ou à New-York. Paris c’est ma casa !
Vous connaissez ce mot de Jean Cocteau « Les Italiens sont des Français de bonne humeur » ?
C’est génial ! C’est vrai que les Parisiens sont toujours contre tout, c’est sûrement leur gène révolutionnaire ! Mais c’est aussi ce que j’aime ici, c’est ce qui rend les Français attentifs, ils sont toujours en alerte au sujet de quelque chose. En Italie les gens sont plus indolents… la dolce vita quoi !

©ONDIF/Eric Garault
Mais vous restez italien ?
Oui, j’ai la double nationalité maintenant. J’ai une histoire compliquée : je suis né Espagnol, j’ai passé mon enfance en Espagne, puis après avoir perdu mon père, ma mère nous a emmenés en Italie qui nous a accueillis, où j’ai eu la chance de faire de très bonnes écoles. Je suis donc profondément reconnaissant envers l’Italie, comme je suis reconnaissant envers la France, qui m’a offert une place importante dans la vie culturelle française, qui a soutenu mes rêves et mes projets artistiques de façon si forte et qui m’accueille pour continuer le reste de ma vie en tant que citoyen français.
Quelle est la mission de l’Orchestre national d’Île-de-France ?
Nous sommes un touring orchestra, un orchestre itinérant : nous emmenons la musique partout, aux quatre coins de la région. Nous jouons dans une centaine de salles par an. Notre ambition est de toucher le public le plus vaste possible : les musiciens se déplacent jusque dans les prisons, les hôpitaux, les écoles d’Île-de-France. Nous avons beaucoup travaillé pour élargir et renouveler notre audience. Nous avons un public plus jeune que les autres orchestres grâce notamment à notre résidence parisienne à la Philharmonie, et nous avons aussi le prix au fauteuil le plus bas. Nous touchons les gens de 6 à 99 ans !
Tout le monde peut venir aux concerts de l’Orchestre national d’Île-de-France ?
Bien entendu ! Il n’est absolument pas nécessaire de se préparer. Ce qu’il faut, c’est se laisser abandonner, pendant une heure ou deux, à la sensation, à l’amusement, parfois à la folie, à la merveille que la musique nous donne. Je cherche toujours une façon de partager quelque chose avec le public : cela peut être un discours, des petits secrets de fabrication, faire chanter un morceau avec l’orchestre… La musique doit être vivante. Un concert est un moment de joie, de partage social. Au fil des ans, nous avons noué des contacts vraiment privilégiés, très forts, avec notre public. Nous venons d’interpréter le Requiem de Verdi, et à la fin le public a eu une réaction formidable, il a littéralement explosé ! On se serait cru à un match de foot !
Pour finir, quels sont vos compositeurs préférés ?
C’est une question vraiment très difficile ! Je déteste toute idée de classement des œuvres. Chacun a une approche différente de son art, et ce sont ces différences qui nous rendent unique, qui font la beauté de l’art. Pour vous répondre quand même, je dirais que pour un bon chef d’orchestre, son compositeur préféré est celui qu’il dirige dans l’instant ! Chaque fois je prépare une nouvelle œuvre, pendant une semaine pour un concert symphonique ou un mois pour un opéra, je plonge dans un nouvel univers, dans la musique, dans les phrases, dans l’expressivité d’un compositeur – je suis absorbé par sa façon d’écrire, et à chaque nouvelle page de partition que je tourne, je trouve la Beauté ! Alors vous comprenez que je n’ai pas la capacité de juger qu’un artiste est supérieur à un autre. Ceci dit, je suis désormais identifié à l’étranger comme un spécialiste de la musique française ! Pour mes débuts en Amérique latine, à Sao Polo, j’ai dirigé non pas des opéras italiens, mais un répertoire français composé de Debussy et Ravel. Deux génies !