« L’aveu des indices », de Perrine Rogiez-Thubert
Capitaine de police œuvrant depuis 19 ans au sein de l’Identité Judiciaire de la préfecture de Police, Perrine Rogiez-Thubert a longtemps été photographe de scène de crime puis d’autopsie, avant d’y relever les traces et indices en tant que technicien. Aujourd’hui, elle dirige une équipe d’agents de police technique et scientifique, tout en continuant à enquêter sur le terrain des morts suspectes et homicides. A l’occasion de son troisième ouvrage « L’aveu des indices – manuel de thanatologie », elle se confie à Préf Police le blog sur les raisons qui l’ont conduite à reprendre la plume.
Vous avez écrit un premier ouvrage (« La parole est au cadavre ») en 2008 puis un second en 2011, considérés comme des références en la matière. Pourquoi en sortir un autre dix ans plus tard ?
En 2011, j’ai sorti, sous le même titre, la suite à laquelle j’avais rajouté plusieurs chapitres et je pensais m’arrêter là. Mais, à chaque fois que je me rends sur une scène de mort suspecte, je prends des notes, d’abord mentalement, puis je les rédige en rentrant à la maison.
J’ai réalisé que j’avais beaucoup appris depuis 2011. J’ai tout couché sur papier et j’avais alors matière pour un nouvel ouvrage. « L’aveu des indices », c’est « La parole est au cadavre » + 60% d’ajout. Il est plus précis, plus peaufiné et il y a des scènes de crime que je n’évoquais pas dans le premier livre que je développe ici.
« Sur les scènes de crime, on apprend »
Pourtant, il ne s’agit pas juste d’un « manuel de thanatologie », comme l’évoque le sous-titre, puisque l’ouvrage est d’une part très documenté et d’autre part très éclairant sur le quotidien de policier.
J’aime ces références historiques qui permettent d’élargir le spectre. Comme je suis quelqu’un d’un peu technique et pragmatique, j’essaie d’ajouter ce type d’informations un peu plus « légères », si on peut dire.
On me dit souvent que mes livres sont assez faciles à lire. Sans doute est-ce parce que j’essaie de rendre la matière vivante… alors que je ne parle que de mort !
A quel lecteur avez-vous pensé en concevant cet ouvrage ?
Quand je l’écris et quand je me relis, je pense à trois catégories de lecteurs.
En premier lieu, au milieu professionnel, c’est-à-dire les policiers, gendarmes, magistrats ; ensuite, aux amateurs de polars, de films et séries policières, ce qui m’amène à adapter en vulgarisant et en excluant parfois le jargon médico-légal. Et en troisième relecture, je pense au meurtrier en herbe qui me lit… et là, j’écarte pas mal d’indices.
Enfin, lorsque j’évoque des cas pratiques sur lesquels je suis allée, je pense également aux familles des victimes et je modifie alors des éléments pour éviter que l’affaire soit trop identifiable. J’ai d’ailleurs délibérément supprimé certaines scènes qui étaient très singulières.
Comment présenteriez-vous l’ouvrage à une personne qui hésiterait à le lire ?
Il faut déjà être curieux, intéressé par les romans policiers, par l’anatomie, par la médecine légale. Le livre s’adresse aux passionnés. Il est vrai que le métier de policier est le seul où il y a autant de festivals, autant d’écritures, c’est un métier fédérateur ! Je dirais qu’il faut avant tout que le lecteur ait envie de comprendre.
« Mes sources sont les publications scientifiques des pays étrangers et l’expérience sur le terrain. »
Votre livre est ponctué de nombreuses anecdotes (Bertillon, Cléopâtre, le docteur Guillotin, même Rembrandt). Quel travail de recherche avez-vous mené ?
Les correspondances ou anecdotes historiques me viennent spontanément. Ce sont des références que j’ai. D’ailleurs, concernant les chapitres pour lesquels je n’en avais pas, je n’en ai volontairement pas cherchées.
Pour certaines parties, je cite des collègues qui m’ont aidée parce qu’ils sont spécialisés sur le sujet ou parce qu’il s’agit de dossiers sur lesquels nous avons travaillé en commun en expertise. Il me semblait inenvisageable de ne pas les associer. C’est un travail d’équipe… J’apprends des cadavres mais j’apprends aussi des vivants.
Les recherches que j’ai faites sont davantage liées aux statistiques que je mentionne. Je lis beaucoup de publications scientifiques sur l’avancée de la thanatologie en Europe ou aux Etats-Unis.
Excepté cela, j’écris ce que je vois.
« Je me contente d’écrire ce que j’ai vu. »
Vous évoquez vos missions au quotidien, du fait divers aux évènements d’ampleur comme l’identification des victimes de catastrophes à laquelle vous avez été fortement confrontée en 2015.
C’était important de montrer le panel de ce que nous sommes amenés à faire. Il y a des scènes de crime de droit communs « classiques » et il y a parfois aussi de « l’exceptionnel » dans notre quotidien, comme les identifications de victimes de catastrophes pour des crashs aériens (NDLR : l’ouvrage évoque les recherches liées au vol de GermanWings) et des attentats par exemple, où nous sommes face à des situations hors du commun.
Je ne me voyais pas écrire un livre sur les scènes de crime parisiennes sans évoquer les attentats. C’était aussi une manière de rendre hommage à toutes les victimes de ces scènes de guerre.
Et la suite ? Avez-vous un prochain ouvrage en vue ?
Je sors un livre en juin, avec mon collègue Gilles Reix (NDLR : également policier à direction de la police judiciaire), « L’arme du crime ». C’est très différent, c’est « ludique », historique avec un peu de technique. Nous sommes partis des armes du crime que l’on retrouve dans des collections privées, au musée de la préfecture de Police, etc., et avons retracé leurs pérégrinations posthumes depuis le meurtre. Contrairement à « L’aveu des indices », les corps ne sont pas du tout évoqués : cette fois, la part belle est donnée aux instruments du crime.
« L’aveu des indices, manuel de thanatologie», de Perrine Rogiez-Thubert, 400 pages, édition Payot
« L’aveu des indices » : l’avis de Préf Police le blog
C’est à une plongée passionnante au cœur du quotidien de l’Identité Judiciaire que Perrine Rogiez-Thubert invite le lecteur professionnel ou amateur. Préfacé par l’écrivain Franck Thilliez (NDLR : le précédent livre était introduit par le réalisateur Olivier Marchal), « L’aveu des indices » réussit à balayer la noirceur de sa thématique, en mêlant des références et faits divers historiques au vécu de terrain de cette policière passionnée par son métier. Perrine Rogiez-Thubert sait mettre ses connaissances poussées au service de son lecteur en rendant son propos abordable aux non-initiés, glossaire à l’appui. On picore ses anecdotes – toujours choisies pour éclairer sur sa matière de prédilection – et ce, au gré de chapitres, qui peuvent parfois se survoler si la sensibilité l’exige. Le sens du détail et son attachement à l’explication juste lui permettent de garder intacte l’attention du lecteur. A ses côtés, on apprend beaucoup (la taphophobie de Chopin, l’origine du mot croque-mort, ou l’existence de la Ferme aux corps, lieu unique du Tennessee où la science thanatologique est mise en pratique) sur la police scientifique mais pas seulement. En parlant de mort, l’écrivain nous offre en réalité une approche très humaine d’un sujet de prime abord délicat à aborder. On se surprend à rester captivé par son récit au fil des pages dénuées d’illustration. Gageons que cet ouvrage fera lui aussi office de référence.