« L’arme du crime », de G. Reix et P. Rogiez-Thubert

Sur la piste du sang.
Perrine Rogiez-Thubert et Gilles Reix sont policiers à l’identité judiciaire de Paris. Forts de leur expérience en qualité de techniciens de scène de crime et de leur solide amitié, la capitaine et le major ont décidé de revenir sur une cinquantaine d’affaires criminelles qui ont défrayé la chronique entre 1610 et 1946. Rencontre avec deux experts.

 

Perrine Rogiez-Thubert et Gilles Reix, policiers au service régional d’identité judiciaire et auteurs de L’arme du crime, pris en flagrant délit au cœur du Bastion, le nouveau 36.

Pourquoi ce livre ?

Gilles Reix : L’idée est venue un peu par hasard en 2013 à l’occasion des « Cent ans de la Police Judiciaire ». Á cette époque, nous avions été invités par Jacques Pradel pour participer à L’heure du crime afin de faire une présentation de l’affaire Scheffer, la première identification française effectuée à l’aide de traces papillaires prélevées sur les lieux d’un crime. De cette émission radio est né le projet de rassembler dans un ouvrage des affaires criminelles, célèbres ou pas, en partant non pas des auteurs ni des victimes, mais de l’arme du crime.

Perrine Rogiez-Thubert : Notre postulat de départ est simple : pour chaque affaire évoquée, l’arme ou l’instrument doit encore exister, soit exposé dans un musée, soit conservé dans une collection publique ou privée. Nous avons aussi décidé de proposer au lecteur à la fin de chaque cas, une technique contemporaine spécifique que la police scientifique serait susceptible d’utiliser pour résoudre l’affaire de nos jours.

Comment a fonctionné votre binôme ?

P. R-T. : Gilles et moi nous connaissons depuis vingt ans ! Nous sommes donc déjà un binôme professionnel de longue date. Pour ce livre, le partage s’est fait très naturellement. Gilles est très branché « histoires », « anecdotes » et moi je suis plus versé dans l’aspect « technique ». Nous nous sommes donc parfaitement complétés. Mais c’est vraiment un livre écrit à quatre mains, sur des affaires graves, mais traitées sur un ton léger et humoristique, dans un style abordable pour le grand public.

G.R. : Nous avons d’abord travaillé chacun de notre côté pour choisir les affaires que nous voulions raconter, puis nous avons confronté nos choix pour sélectionner une cinquantaine de cas. Toutes les affaires sont vraies, parsemées de jargon policier. D’ailleurs, on peut voir au fil du temps une certaine évolution de ce langage.

Les affaires que vous abordez vont de 1610-1946. Pouvez-vous expliquer le choix de ces dates ?

G.R. : On ne parle des affaires que si l’arme existe. On a choisi d’ailleurs le mot « arme » dans le titre de notre livre, mais il serait plus juste de parler d’instrument ou d’objet. Il y a quelques exceptions bien sûr, comme pour le chapitre consacré au poignard de Ravaillac qui a servi à assassiner Henri IV en 1610, une arme qui n’est certes plus visible pour le public, mais qui est conservée dans une collection.
P.R-T. : Nous avons pris essentiellement des affaires criminelles françaises, majoritairement parisiennes, dont l’arme est encore visible aujourd’hui. Nous avons essayé de retracer les pérégrinations posthumes de ces objets. Que sont-ils devenus après avoir été entre les mains d’un meurtrier ? Nous n’avons pas voulu parler de crimes trop récents par respect pour les familles et descendants de victimes. Certaines affaires sont encore un peu trop fraîches pour être abordées de façon « légère ».

Quelle est votre affaire préférée et pour quelles raisons ?

P.R-T. : J’aime beaucoup l’affaire Lætitia Toureaux, une jeune femme retrouvée assassinée à Paris à la station de métro Porte Dorée le 16 mai 1937. Ce premier meurtre dans un métro est une des rares affaires non élucidées dont nous parlons. Je me rends compte quand même que je suis plus attirée par les meurtres commis par des femmes. Il y a toujours une touche romanesque et puis parce que c’est plus rare, encore aujourd’hui d’ailleurs. Des actes souvent commis par amour…

 

1. L’affaire Laetitia Toureaux dans la presse de l’époque, ou l’histoire d’un crime parfait. Le premier meurtre de l’histoire du métro, le 16 mai 1937, un dimanche de la Pentecôte, vers 18h30.

2. Marguerite Steinheil, portrait dessiné par Léon Bonnat, 1899.

 

 

G.R. : Pour ma part, j’avoue avoir une passion pour l’affaire Marguerite Steinheil, une femme du monde connue pour avoir entretenu une liaison avec le président Félix Faure et qui a côtoyé des hommes de lettre et des artistes tels que Charles Gounod, Ferdinand de Lesseps, Jules Massenet, Emile Zola ou encore Pierre Loti… avant d’être impliquée dans une sombre affaire criminelle en 1908. On l’a retrouvée un jour attachée chez elle dans sa chambre, son mari mort étranglé et sa mère décédée des suites d’une attaque. Très rapidement, les soupçons se sont portés sur elle, mais après un long procès, elle sera acquittée.

Où et comment avez-vous fait vos recherches ?

G. R. : Nous avons bien sûr eu accès aux collections du musée et des archives de la police de la préfecture où se trouvent de nombreuses armes, des journaux d’époque et de nombreux dossiers. Nous sommes aussi allés sur le site de Gallica de la bibliothèque nationale de France, ce qui nous a permis d’avoir accès à la presse, mais aussi aux archives de la justice où se trouvent les minutes des procès. Les journalistes étaient extrêmement bien documentés, avec une belle plume… et de l’humour.

Toutes vos affaires ont des criminels qui ont été identifiés ?

P.R-T. : Oui, à 98%… à part l’affaire Toureaux, un chapitre que l’on a intitulé Le dernier métro. Mais toutes les affaires sont classées.

Comment expliquez-vous l’attrait du grand public pour les affaires criminelles et le fait divers en général ?

P.R-T. : Je pense que le public aime avoir peur. Tout le monde aime le suspense, trembler un peu, tout en restant confortablement installé dans un fauteuil ou dans un lit… et puis on aime bien se mettre dans la peau de l’inspecteur, non ?
G. R. : Il y a aussi le côté voyeur. Une scène de crime, c’est intriguant, c’est une zone interdite au public réservée aux policiers. C’est donc une façon pour le public de toucher un peu le métier de flic.

Est-ce qu’il n’y a pas une fascination un peu fétichiste ou morbide autour de ces objets du crime ?

P. R-T : Connaître l’histoire d’un objet aussi emblématique qu’une arme de crime lui donne bien sûr une autre dimension. Dans une des affaires que l’on évoque avec une femme brûlée sur un bûché, la foule ramasse des morceaux de bois pour garder un souvenir de l’exécution.

G.R. : Bien sûr qu’il y a quelque chose qui relève du morbide. D’ailleurs, les plus grands collectionneurs d’armes sont probablement les auteurs de crime eux-mêmes dont on n’a pas retrouvé l’arme, ni même la trace. Ils sont hélas nombreux.

 

 

En librairie le 10 juillet
Éditions Eska
Prix : 22 euros
278 pages